Ezin vs Commission de La Cedeao (ECW/CCJ/APP/ 14 of 2017) [2018] ECOWASCJ 18 (29 June 2018)


ARRET

DE LA COUR DE JUSTICE DE LA COMMUNAUTE ECONOMIQUE DES ETATS DE L’AFRIQUE DE L’OUEST

(CEDEAO)

AFFAIRE N° ECW/CCJ/APP/14/17

 

JEAN PIERRE EZIN 

CONTRE 

COMMISSION DE LA CEDEAO

ARRÊT N° ECW/CCJ/JUD/18/18 

Vendredi 29 Juin 2018


« Au nom de la Communauté »

La Cour de justice de la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest, (CEDEAO) siégeant à Abuja (Nigéria) le Vendredi 29 Juin 2018 en formation ordinaire,  composée de :

Honorable Juge Jérôme TRAORE - Président

Honorable Juge Yaya BOIRO - Juge Rapporteur

Honorable Juge Alioune SALL - Membre

Assistés de Maître Diakité Aboubacar - Greffier

A rendu l’arrêt dont la teneur suit :

Entre 

I. LES PARTIES

Monsieur Jean-Pierre Ezin Professeur à l’Institut de Mathématiques et de Sciences Physiques de l’Université d’Abomey-Calavi, de nationalité Béninoise, demeurant à COTONOU ;

Ayant pour Conseil  Maître Sadikou Ayo ALAO, Avocat près les Cours d’appel du Bénin, demeurant à Cotonou, Résidence Ayo, lot 1416 G, Haie-Vive ; BP : 4424 CotonouDemandeur d’une part, 

Et 

La Commission de la CEDEAO sise au 101, Yakubu Gowon Crescent. Asokoro District. P.M.B.401. Abuja, NIGERIA;

Représentée par Daniel B. LAGO, Directeur des Affaires juridiques de la Commission de la CEDEAO,  Défenderesse d’autre part.

La Cour

Vu le Traité révisé instituant la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) du 24 juillet 1993;

Vu le Protocole du 06 juillet 1991 et le protocole additionnel du 19 janvier 2005 relatifs à la Cour de justice de la CEDEAO;

Vu le Règlement de la Cour de justice de la CEDEAO en date du 03 juin 2002;

Vu le Règlement du personnel de la CEDEAO; 

Vu la Requête du demandeur susnommé en date du 2 mars 2017  enregistrée au Greffe de la Cour le 13 mars 2017;

Vu le mémoire en défense de la Commission de la CEDEAO en date du 12 avril 2017;

Vu le mémoire en réplique du demandeur en date du 28 avril 2017 et enregistré au Greffe de la Cour le 8 mai 2017; 

Vu la demande de renvoi du demandeur en date du 7 novembre 2017  enregistrée au Greffe de la Cour le 8 novembre 2017;

Vu les notes de plaidoirie déposées le 28 janvier 2018 par les parties et jointes au dossier; 

Vu les notes en cours de délibéré de la défenderesse en date du 19 mars 2018 et déposées le 03 mai 2018 au greffe de la Cour de céans ; 

Vu les notes en cours de délibéré du demandeur en date du 28 mai 2018 déposées le 30 mai 2018 au greffe de la Cour; 

Vu les pièces du dossier ;

II. FAITS ET PROCEDURE

  1. Considérant qu’il est constant comme résultant des pièces du dossier qu’à l’issue d’une interview de plusieurs candidats, Monsieur Jean-Pierre Ezin citoyen béninois, a été recruté, par  Règlement C/REG. 1/01/14 de la Session extraordinaire du Conseil des Ministres en date du 23 janvier 2014, en qualité de Commissaire chargé de l’Education, des Sciences et de la Culture de la Commission de la CEDEAO pour un mandat de quatre ans non renouvelable à compter du 1er février 2014. Ledit Règlement et l’acte de sa nomination lui ont été notifiés par lettre en date 24 janvier 2014 du Président de la Commission.
  2. Par courrier en date du 14 mars 2016, la Commission notifiait au sieur Jean Pierre Ezin la fin de son mandat de Commissaire chargé de l’Education, des Sciences et de la Culture de la Commission de la CEDEAO tout en précisant qu’en cas de non reconduction au sein de la Commission, une lettre lui sera envoyée pour lui dire ses droits. 
  3. Cette fin anticipée du mandat de Monsieur Jean-Pierre Ezin est consécutive aux résolutions de la 48ème session ordinaire de la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement tenue les 16 et 17 décembre 2015, attribuant d’une part, au Burkina Faso le poste de Commissaire à l’Education, à la Culture, à la Science et à la technologie et d’autre part, à la République du Bénin, le poste de Président de la Commission.
  4. Le 24 mars 2016, le Professeur Jean-Pierre Ezin  passait le service à son successeur, le Professeur Hamidou BOLY du Burkina Faso, le nouveau Commissaire à l’Education, à la Culture, à la Science et à la technologie de la CEDEAO.
  5. Par la suite, le Professeur Jean-Pierre Ezin  adressait en vain,  plusieurs lettres au Président de la Commission  pour réclamer le paiement de ses droits. Il saisissait également le Président du Conseil des Ministres d’une requête gracieuse pour demander un dédommagement à défaut d’être maintenu en fonction à un poste convenable, comme il en est d’usage au sein de la Communauté.
  6. Face à l’inertie de la Commission de la CEDEAO, le Professeur JeanPierre Ezin   saisissait la Cour de justice de la Communauté par requête en date du 2 mars 2017, enregistrée au Greffe de ladite juridiction le 13 mars 2017, pour solliciter ce qui suit :
    • En la forme, recevoir le requérant en son action ;
    • Rejeter comme non fondée l’exception soulevée in limine litis par la défenderesse, tirée de la forclusion de l’action introductive d’instance du requérant ; Au fond :
    • Rejeter tous les moyens développés par la défenderesse en tant qu’ils ne reposent sur aucune base légale ;
    • Constater que M. Jean Pierre Ezin a été recruté par Règlement CREG.1/01/14 comme Commissaire chargé de l’éducation, des sciences et de la culture pour un mandat de 4 ans non renouvelable à compter du 1er février 2014 ;
    • Constater que le requérant est fonctionnaire statutaire de la CEDEAO en vertu de l’article 9 du Règlement du Personnel de la CEDEAO ;
    • Constater que le requérant a été victime d’une rupture abusive de son contrat de travail par la Commission de la CEDEAO au mépris des règles communautaires ;
    • Condamner la Commission à lui payer en compensation  des indemnités correspondant aux deux années de salaires qui lui restent dus y compris les indemnités et accessoires s’y rattachant ;
    • Condamner en outre la Commission de la CEDEAO à lui payer la somme de 100 000 000 de FCFA au titre du préjudice moral ;
    • Imposer un délai de deux mois à la Commission pour exécuter la décision rendue à cet effet et dire que passé ledit délai, les sommes à payer seront assorties  d’un taux d’intérêt de dix pour cent (10%) ; - Condamner également la Commission aux entiers dépens ;
  7. Pour sa part, la Commission conclut à l’inanité des demandes formulées par le requérant avant de solliciter de la Cour ce qui suit :
    • Avant toute défense au fond, déclarer irrecevable comme tardif le recours contentieux du Professeur Jean-Pierre Ezin  en vertu de l’article 73 du Règlement du personnel de la CEDEAO, pour n’avoir pas été exercé dans un délai de deux mois à compter de la notification de la rupture du contrat de travail ;
    • Radier en conséquence l’affaire du rôle;
    • Subsidiairement, au fond, débouter le requérant de toutes ses prétentions comme non justifiées et le condamner aux dépens. 

III. MOYENS ET ARGUMENTS ET DES PARTIES

  1. Pour soutenir son action, le  requérant invoque plusieurs moyens tant du point de vue de la forme que du fond.
  2. Du point de vue forme, il soutient que la forclusion soulevée par la défenderesse est dépourvue de base légale. Selon lui, l’article 73 du Règlement du personnel de la CEDEAO invoqué à l’appui de ce moyen ne prévoit de délai qu’en matière disciplinaire (voir alinéa b), ce qui n’est pas le cas en l’espèce ; en outre, il fait valoir que, contrairement à l’affirmation de la défenderesse, son action  ne vise pas la suspension de l’exécution de la décision interrompant de manière abusive le contrat liant les parties, mais elle a pour objet un dédommagement résultant de la rupture injustifiée de cette convention ;
  3. Pour le requérant, les relations de travail se fondent sur la bonne foi et les arguments de la défenderesse par lesquels celle-ci invoque un délai d’un mois sous peine de forclusion, outre qu’ils violent les principes généraux du droit commun des obligations, notamment le délai raisonnable pour se défendre, ne sont pas conformes à la jurisprudence du tribunal administratif de l’Organisation Internationale du Travail qui fait du délai raisonnable une condition préalable à l’accès au tribunal, encore moins à celle de la Cour de justice de la CEDEAO qui rappelle dans son arrêt N°ECW/CCJ/JUD/03/10 du 08 juillet 2010 que « le Règlement du personnel de la CEDEAO est muet sur les voies de recours disponibles pour un membre du personnel frappé par un licenciement arbitraire. La raison étant que pour arriver à une décision de constat de licenciement de ce genre, la Cour doit prendre en considération les faits et les circonstances de l’affaire ainsi que les principes généraux du droit du travail relatifs à la résiliation des contrats ». 
  4. Sur le fond, le requérant rappelle qu’il a été  nommé Commissaire chargé de l’Education, des Sciences et de la Culture de la Commission de la CEDEAO pour un mandat non renouvelable de quatre(4) ans, à compter du 1er février 2014 avant d’être licencié le 14 mars 2016 de manière abusive. C’est pourquoi, il invoque la violation de ses droits sur le fondement de l’article 18 du Traité Révisé de la CEDEAO qui dispose à cet effet que : «…le mandat des commissaires est de quatre (4) ans non renouvelable. Durant leur mandat, les membres de la Commission sont irrévocables sauf en cas de faute lourde ou d’incapacité… ».
  5. Le requérant invoque également sa qualité de fonctionnaire statutaire, conformément à l’article 9 du Règlement du Personnel de la CEDEAO. A ce titre, il considère avoir droit à un dédommagement substantiel  en raison de la rupture anticipée, humiliante et brutale (sans préavis) de son mandat de commissaire.
  6. En réplique aux arguments du requérant, la défenderesse (la Commission de la CEDEAO) par l’organe de son représentant,  soulève in limine litis l’irrecevabilité de la requête présentée en se fondant sur la nature de l’acte ayant mis un terme aux relations de travail qui liaient les parties et sur la tardiveté sinon la forclusion du recours contentieux exercé devant la Cour de céans par le Professeur Jean-Pierre Ezin en vertu des dispositions des articles 73 et suivants du Règlement de la Cour.
  7. Relativement à la nature de l’acte en cause, la défenderesse a soutenu la thèse consistant à mettre l’accent sur le fait que l’acte qui a été à l’origine de la plainte de M. EZIN  avait en quelque sorte une portée générale dès lors qu’il n’est pas intervenu intuitu personae, mais dans le cadre d’une réforme institutionnelle  plus générale décidée d’un commun accord par la Conférence des Chefs d’Etats de la CEDEAO. Pour la défenderesse, il s’agissait d’un acte prescrivant en même temps la fin anticipée du mandat de certains commissaires de la CEDEAO. Selon elle, un tel acte pouvait, « mutatis mutandis » être rapproché de la notion d’Acte de Gouvernement au sens du droit public français, dont la caractéristique majeure est qu’il est insusceptible de tout recours juridictionnel.
  8. La défenderesse souligne en outre que les postes attribués au sein de la CEDEAO sont affectés aux Etats et non aux personnes privées. Cellesci n’auraient dès lors aucun titre à agir.
  9. S’agissant de la forclusion, la défenderesse estime qu’en application des dispositions des articles 73 et suivants du Règlement du personnel, le requérant a attaqué hors délai la décision des Chefs d’Etat et de Gouvernement de décembre 2015 qui a mis un terme à ses relations de travail avec  la Commission de la CEDEAO.  Pour la défenderesse, le requérant  a exercé son recours huit (8) mois après la notification de la décision réorganisant les départements de la commission de la CEDEAO. Or, selon elle, le délai de recours contre un acte de la Communauté CEDEAO est  d’un mois et commence à courir à compter du quatorzième jour suivant la date de sa publication au journal officiel. Elle souligne que ce délai étant franc et d’ordre public, doit faire l’objet d’une computation selon le principe « Dies a quo, Dies ad quem ».
  10. Sur le fond et à titre subsidiaire, la défenderesse a plaidé à l’audience publique de la Cour en date du 31 janvier 2018 et dans ses notes en cours de délibéré en date du 19 mars 2018 reçues au greffe de la Cour le 03 mai 2018, l’irresponsabilité de la Commission ainsi que celle de la Conférence des chefs d’Etat quant à l’interruption des relations de travail qui liaient les parties. Pour elle, ces relations de travail s’inscrivaient dans le cadre d’un mandat institutionnel bien encadré par le traité constitutif de la CEDEAO et ledit mandat est exercé au nom et pour le compte de l’Etat membre auquel le poste a été attribué, en l’espèce la République du Bénin qui avait la possibilité de faire une substitution de personne en cas d’interruption du mandat.
  11. Selon elle, il est constant que la Conférence des chefs d’Etat et de gouvernement de la CEDEAO s’est fondée sur les principes de rotation et les modalités de nomination contenus dans l’acte additionnel A/SA.14/02/12 concernant les postes de Président et de Vice-Président pour attribuer la présidence au Benin (après que celle-ci a pris l’option de la substitution de son ressortissant M. Jean Pierre Ezin déjà en poste par un autre) et la vice-présidence à la Gambie. Qu’ainsi, le sieur Ezin ne devait en vouloir qu’à son pays d’origine. 
  12. En clair, la défenderesse estime que M. Jean Pierre Ezin doit être débouté de l’ensemble de ses prétentions notamment les deux ( 2) ans de salaires réclamés, les préjudices moraux et les intérêts de retard, sauf en ce qui concerne les revendications relatives aux indemnités de séparation pour lesquelles elle se montre prête à en discuter.
  13. S’agissant justement de ces indemnités de séparation, la défenderesse fait valoir que le requérant a manqué de diligence en feignant d’oublier que « les dettes sont en principe quérables et non portables » et qu’il lui appartenait de tout mettre en œuvre pour entrer en possession de son argent, soit plus de 4000 unités de compte, à lui offerts par la défenderesse comme l’atteste la correspondance en date du 10 août 2016 de cette dernière. La défenderesse estime également  avoir ainsi manifesté sa volonté de payer les droits dus au requérant et qu’il serait superflu d’envisager en plus des préjudices moraux ou des intérêts de retard.  
  14. Pour sa part, le requérant estime que l’argumentation de la Commission viole les principes généraux du droit et qu’elle est contestable dans la mesure où son recours devant la Cour vise à obtenir purement et simplement  un dédommagement c’est-à-dire le paiement de ses droits par la Commission et non pas la suspension de la décision de la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement qui attribue au Burkina Faso le poste de Commissaire à l’Education, à la Culture, à la Science et à la technologie et à la République du Bénin, le poste de Président de la Commission de la CEDEAO. 
  15. Le requérant estime que la bonne foi doit présider les relations contractuelles et qu’il n’est pas équitable que la Commission ait mis cinq (5) mois pour notifier au requérant ses droits, comme en témoigne sa correspondance en date du 10 août 2016, alors que la rupture est intervenue le 14 mars 2016. Selon lui, il n’est pas sans intérêt de préciser que nonobstant cette correspondance du 10 août 2016, les droits qui lui sont reconnus n’ont pas été liquidés, jusqu’à ce jour (c’est-à-dire le 28 avril 2017, date du mémoire en réplique).

IV. ANALYSE DE LA COUR  

  1. La Cour axera son analyse sur la recevabilité de la requête présentée (A) et, éventuellement, sur le bien-fondé de celle-ci (B).

a. Sur la recevabilité de la requête a- Sur l’exception d’irrecevabilité de l’action du requérant tirée de la nature de l’acte posé par la Conférence des chefs d’Etat de la CEDEAO

  1. D’emblée, la Cour ne conteste pas que la décision par laquelle  la Conférence des chefs d’Etats de la CEDEAO a mis un terme à la convention qui liait la Commission au requérant et à d’autres agents de la Communauté (des commissaires), est intervenue dans le cadre d’une réforme institutionnelle générale ne visant donc aucun agent intuitu personae.
  2. Cependant, la Cour relève que cette décision, fut-elle une émanation de la plus haute instance de la CEDEAO, ne saurait être rapprochée de la notion d’acte de Gouvernement au sens du droit français dont la caractéristique majeure est qu’il échappe à tout contrôle contentieux.
  3. D’une part en effet, cette notion n’existe nulle part dans le droit de la CEDEAO. Si l’on suivait la logique du défendeur, il suffirait de conférer – sur les bases qui pourraient être parfaitement arbitraires - la qualification d’« acte de gouvernement » à un acte pour le soustraire au contrôle de la Cour. La gravité qui s’attache à une telle qualification exclut, du point de vue de la Cour, que cette caractéristique soit faite unilatéralement, au demeurant par la partie qui a intérêt à ce que ledit acte ne soit pas contrôlé.
  4. D’autre part, les textes qui régissent la Cour vont à l’encontre d’une telle exception. Aux termes de l’article 9 b et c du Protocole de 2005, la compétence de la Cour s’étend aux « règlements, directives, décisions et tous autres instruments juridiques subsidiaires adoptés dans le cadre de la CEDEAO ». Il s’agit là d’une clause générale de justiciabilité de tous actes dérivés adoptés dans le cadre de la CEDEAO. Il n’y est nulle part évoqué d’exception au contrôle exercé par la Cour sur ces actes. Il sied d’ajouter qu’aux termes de l’article 10 du même Protocole, « peut saisir la Cour toute personne physique ou morale pour les recours en appréciation de légalité contre tout acte de la Communauté lui faisant grief ».
  5. Sur le terrain même de la responsabilité – et non plus du contrôle de légalité, aucune exception à la compétence de la Cour n’est prévue. L’article 9 alinéa 2 dudit Protocole pose un principe général de responsabilité de la CEDEAO « soit pour les agissements matériels, soit par des actes normatifs de la Communauté… ».
  6. Enfin, la Cour doit rappeler les termes par lesquels l’organe judiciaire de l’Union économique monétaire ouest africaine (UEMOA), confrontée à la question de contrôle d’un acte pris au nom de la Conférence des chefs d’Etat et de Gouvernement mais faisant manifestement grief, a posé le principe de son aptitude à en connaitre : « Le recours en annulation tend à assurer le respect de la légalité communautaire. Il serait contraire à cet objectif d’interpréter restrictivement les conditions de recevabilité du recours en limitant sa portée aux seules catégories d’actes visés par l’article 15 al 2 du Règlement de procédure de la Cour de justice ». Voir arrêt 03/2005 du 27 avril 2005, Eugène YAÏ et Chefs d’Etat et Commission UEMOA.
  7. La Cour de la CEDEAO tient également du Protocole qui l’institue la mission d’«assurer le respect du droit et des principes d’équité dans l’interprétation et l’application du Traité ainsi que des Protocoles et textes y annexés et d’être investie de la responsabilité de régler tout différend pouvant lui être soumis… ». Voir Préambule du Protocole A/P.1/7/91 du 06 juillet 1991.

b. Sur l’irrecevabilité de l’action du requérant tirée du défaut d’intérêt à agir

  1. S’agissant de l’argument de la Défenderesse selon lequel le requérant n’a aucun intérêt à agir étant donné que les postes attribués au sein de la CEDEAO sont affectés aux Etats et non aux personnes privées, la Cour relève qu’il manque de pertinence dès lors qu’il est acquis aux débats que les parties sont liées par un contrat de travail joint au dossier d’une durée de quatre ans non renouvelable à compter du 1er février 2014.
  2. Il s’ensuit que le requérant a un intérêt certain à agir.

c. Sur l’irrecevabilité tirée de la forclusion de l’action du requérant

  1. S’agissant de cette question de recevabilité de l’action introductive d’instance, la Cour relève au prime abord que, contrairement à l’avis de la défenderesse, la requête présentée ne vise pas l’annulation ou la suspension de l’exécution de la décision de la Conférence des chefs d’Etat de la CEDEAO ayant interrompu le contrat liant les parties, mais elle a pour objet un dédommagement résultant de la rupture de ladite convention.
  2. La Cour observe ensuite que suite à la notification en date du 14 mars 2016 au requérant de la rupture du contrat qui le liait à la défenderesse, le requérant avait réagi sur-le-champ en adressant successivement et en vain (sans aucune réponse), trois courriers joints au dossier en date des 20 mai 2016, 30 juin 2016, et 23 août 2016, portant réclamation de ses droits auprès du Président de la Commission, soit avant l’expiration du prétendu délai allégué par la défenderesse.
  3. La Cour rappelle qu’il est de principe qu’il n’y a pas de forclusion sans texte et que dans le cas de l’espèce, l’article 73 alinéa A du Règlement du personnel de la CEDEAO, outre qu’il désigne la Cour de justice de la CEDEAO comme juridiction compétente notamment quant à la réclamation de droits résultant de la rupture d’un contrat au sein de la Communauté, ne prévoit aucun délai pour l’exercice d’un tel droit. Mais, par contre, il prévoit un délai  de deux mois renouvelable une fois en matière disciplinaire, notamment lorsque le recours exercé vise à obtenir une suspension de la décision sanctionnant la personne concernée.
  4. D’ailleurs, cette absence de délai de recours en matière de licenciement est conforme à une jurisprudence constante de la  Cour. Ainsi, dans son arrêt N°ECW/CCJ/JUD/03/10 du 08 juillet 2010, la Cour souligne que « Le Règlement du personnel de la CEDEAO est totalement muet sur les voies de recours disponibles pour un membre du personnel frappé par une sanction de licenciement arbitraire. La raison étant que pour arriver à une décision de constat d’un licenciement de ce genre, la Cour doit prendre en considération les faits et les circonstances de l’affaire ainsi que les principes généraux de droit du travail relatifs à la résiliation des contrats ».
  5. La Cour relève également que la rupture de la convention liant les parties est intervenue depuis le 14 mars 2016 et qu’il a fallu près de cinq mois après, soit le 10 août 2016, pour que le requérant reçoive une correspondance par laquelle son ex-employeur lui notifiait ses droits qui demeurent à ce jour non réglés. Autant dire que la défenderesse, outre qu’elle a failli à une obligation d’ordre public qui est celle d’agir de bonne foi et avec célérité dans l’exécution de toute convention légalement formée, a mis le requérant dans l’impossibilité d’exercer une action quelconque devant les instances compétentes.
  6. La Cour note d’ailleurs que cette exigence de bonne foi et de célérité est conforme à la jurisprudence du Tribunal administratif de l’Organisation internationale du travail qui souligne dans son jugement N°2282 de la 96ème session 2004 et dans celui portant le numéro 2196 de la 94ème  session « qu’il est essentiel pour le bon fonctionnement de la fonction publique internationale que les procédures de recours internes soient diligentées avec une parfaite intégrité… Dans toutes organisations internationales, l’Administration est formellement tenue d’aider les fonctionnaires à exercer leur droit de recours sans jamais entraver cet exercice… ».
  7. Compte tenu de ce qui précède, la Cour estime que les moyens présentés par la défenderesse pour rejeter comme irrecevable l’action du requérant, ne sauraient prospérer.
  8. D’où il suit que l’action du requérant est recevable.

Au fond

 1- Sur le bien-fondé des demandes du requérant

  1. Considérant que l’article 18 du Traité Révisé de la CEDEAO dispose  que : «…le mandat des commissaires est de quatre (4) ans non renouvelable. Durant leur mandat, les membres de la Commission sont irrévocables sauf en cas de faute lourde ou d’incapacité… ».
  2. En l’espèce, il est acquis que le requérant a été  nommé Commissaire chargé de l’Education, des Sciences et de la Culture de la Commission de la CEDEAO pour un mandat non renouvelable de quatre(4) ans, à compter du 1er février 2014 avant d’être remercié le 14 mars 2016 sans aucune preuve d’existence de faute lourde ni d’incapacité et ce, en dépit de sa qualité de statutaire au sens de l’article 9 du Règlement du personnel de la CEDEAO. 
  3. A cet égard, il paraît pertinent pour la Cour de rappeler, qu’en matière de résiliation de contrat de travail, une jurisprudence constante de la chambre sociale de la Cour de cassation française a décidé que « la rupture anticipée prononcée par l’une des parties, sans l’accord de l’autre, et en dehors des cas de la faute grave, de la force majeure ou de l’embauche du salarié sous contrat à durée déterminée, ouvre droit pour l’autre partie à des dommages-intérêts… »
  4. Sur cette question, la jurisprudence du Tribunal administratif de l’Organisation internationale du travail (OIT) parait plus ferme et décide que « même en matière de contrat à durée déterminée arrivé à échéance, le nonrenouvellement doit être motivé, sous peine d’entrainer des dommages-intérêts… »
  5. La Cour relève en l’espèce que même si la rupture du contrat liant les parties avait été fondée sur les dispositions des articles 59 et 60 du Règlement du personnel de la CEDEAO autorisant  le chef de l’institution à mettre fin aux services d’un membre du personnel du fait d’une suppression de poste ou de changement d’exigence du poste, il n’en demeure pas moins que l’employé remercié, outre qu’il ne doit en aucun cas supporter les conséquences dommageables de ladite rupture du contrat, a droit à une indemnité de cessation de service sans compter celle résultant du préjudice moral éprouvé . 
  6. Eu-égard aux circonstances de la cause, la Cour dispose d’éléments d’appréciation suffisants pour dire que les montants réclamés par le requérant au titre de la réparation des préjudices par lui éprouvés, sont fondées en leur principe, mais exagérées quant à leur quantum.
  7. Qu’ainsi, en l’absence d’éléments objectifs permettant de calculer exactement les montants dus au requérant au titre de cette réparation, il convient de lui allouer, de manière forfaitaire, la somme de soixante millions (60.000.000 FCFA) au titre de la réparation de l’ensemble des préjudices éprouvés par lui du fait de ladite rupture abusive du contrat.
  8. La Cour estime en outre qu’il y a lieu d’ordonner à la défenderesse la liquidation des droits du requérant au titre des indemnités de séparation ainsi qu’un délai maximum de deux (2) mois à compter de la notification de la présente décision pour l’exécution de celle-ci;
  9. Il convient enfin de débouter le requérant du surplus de ses prétentions ;

2- Sur les dépens

  1. Considérant que la défenderesse a succombé et qu’il y a lieu de la condamner aux dépens en application des dispositions de l’article 66 du Règlement relatif à la Cour.

Par ces motifs,

Statuant publiquement, contradictoirement, en matière de violation des droits de l’homme, en premier et dernier ressort ;

En la forme

Rejette comme non fondée l’exception soulevée par la défenderesse tirée de l’irrecevabilité de la requête formulée par le sieur Jean Pierre Ezin ;

Au fond

  • Constate que M. Jean Pierre Ezin a été recruté en tant que statutaire par Règlement C-REG.1/01/14, comme Commissaire chargé de l’éducation, des sciences et de la culture pour un mandat de 4 ans non renouvelable à compter du 1er février 2014 ;
  • Constate que le contrat de travail liant la défenderesse au requérant a été abusivement interrompu sans aucune indemnisation de ce dernier ;
  • Condamne en conséquence la défenderesse à payer au requérant la somme de soixante millions (60.000.000 FCFA) au titre de la réparation de l’ensemble  des préjudices éprouvés ;
  • Ordonne à la défenderesse de liquider sans délai tous les droits du requérant au titre des indemnités de séparation ; 
  • Dit en outre qu’un délai maximum de deux (2) mois, à compter de la notification de la présente décision, est donné à la Commission de la CEDEAO  pour l’exécution de celle-ci;
  • Dit que tout retard dans l’exécution de cette décision entrainera par mois une majoration de cinq (5) pour cent du montant total alloué ;
  • Déboute le requérant du surplus de ses prétentions ;
  • Dit en outre que les dépens sont à la charge de la défenderesse.

Ainsi fait et jugé les jours, mois et an que dessus.

Et ont signé :

  • Honorable Juge Jérôme TRAORE - Président
  • Honorable Juge Yaya  BOIRO - Juge-Rapporteur
  • Honorable Juge Alioune SALL - Membre
  • Maitre Diakité Aboubacar - Greffier.
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