Akotegnon vs Commission Ecowas (ECW/CCJ/APP/ 20 of 2017) [2018] ECOWASCJ 19 (29 June 2018)


DE LA COUR DE JUSTICE DE LA COMMUNAUTE ECONOMIQUE DES ETATS DE L’AFRIQUE DE L’OUEST (CEDEAO)

AFFAIRE N° ECW/CCJ/APP/20/17

 

CLAUDE AKOTEGNON 

CONTRE 

COMMISSION DE LA CEDEAO

 

ARRÊT N° ECW/CCJ/JUD/19/18

Vendredi  29  Juin 2018


« Au nom de la Communauté »  

La Cour de justice de la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest, (CEDEAO) siégeant à Abuja (Nigéria) le Vendredi 29 Juin 2018 en formation ordinaire, composée de :

 

  • Honorable Juge Jérôme TRAORE - Président 
  • Honorable  Juge Yaya BOIRO - Juge Rapporteur
  • Honorable  Juge Alioune SALL - Membre

Assistés de Maître Diakité Aboubacar - Greffier

A rendu l’arrêt dont la teneur suit :

Entre 

I- LES  PARTIES

Monsieur Claude Akotegnon, Ingénieur-mécanicien à la retraite de nationalité Béninoise, demeurant à COTONOU, carré 1196 CADJEHOUN, Benin ;

Ayant pour Conseil  Maître Sadikou Ayo ALAO, Avocat près les Cours d’appel du Bénin, demeurant à Cotonou, Résidence Ayo, lot 1416 G, Haie-Vive ; BP : 4424 Cotonou ;

Demandeur d’une part, 

Et 

La Commission de la CEDEAO sise au 101, Yakubu Gowon Crescent. Asokoro District. P.M.B.401. Abuja, NIGERIA;

Représentée par Daniel B. LAGO, Directeur des Affaires juridiques de la Commission de la CEDEAO,  Défenderesse d’autre part.

La Cour

Vu le Traité révisé instituant la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) du 24 juillet 1993 ; Vu le Protocole du 06 juillet 1991 et le protocole additionnel du 19 janvier 2005 relatifs à la Cour de justice de la CEDEAO ; Vu le Règlement de la Cour de justice de la CEDEAO en date du 03 juin 2002 ;

Vu le Règlement du personnel de la CEDEAO ;  Vu la Requête du demandeur susnommé en date du 10 mai 2017  enregistrée au Greffe de la Cour le 17 mai 2017 ; Vu la note de plaidoirie déposée le 28 janvier 2018 par le demandeur et jointe au dossier ; 

Ouï les parties à l’audience du 31 janvier 2018 ; Vu la note en cours de délibéré en date du 19 mars 2018 déposée par la défenderesse le 03 mai 2018 au greffe de la Cour de céans ; Vu les notes en cours de délibéré du demandeur en date du 28 mai 2018 déposées le 30 mai 2018 au greffe de la Cour; Vu les pièces du dossier ;

 II -  FAITS ET PROCEDURE

1. Considérant qu’il est constant comme résultant des pièces du dossier, que  par lettre no ECW/PER/01-HR-P/26-02/aca du Président de la Commission de la CEDEAO en date du  25 février 2014, Monsieur CLAUDE Akotegnon a été recruté comme Assistant du Commissaire Jean-Pierre Ezin lui-même recruté en qualité de Commissaire chargé de l’Education, des Sciences et de la Culture de la Commission de la CEDEAO pour un mandat de quatre ans non renouvelable à compter du 1er février 2014 suivant Règlement N° C/REG. 1/01/14 de la Session extraordinaire du Conseil des Ministres en date du 23 janvier 2014.

2Considérant qu’au paragraphe 3 de sa lettre de nomination, il était stipulé clairement que « son contrat prend effet à compter du 1er  mars 2014 et prendra fin si le Commissaire Monsieur Jean-Pierre Ezin le décide ou à la fin du mandat de ce dernier ».

3. Par lettre en date du 14 mars 2016 du Président de la Commission, il a été mis fin à son contrat, soit  près de deux ans avant la fin du mandat  de 4 ans. Cette fin anticipée du mandat du requérant était la conséquence directe de la rupture du mandat du Commissaire JeanPierre Ezin, elle-même consécutive aux résolutions de la 48ème session ordinaire de la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement tenue les 16 et 17 décembre 2015, attribuant d’une part au Burkina Faso le poste de Commissaire à l’Education, à la Culture, à la Science et à la technologie, et d’autre part, à la République du Bénin, le poste de Président de la Commission.

4Par la suite, Monsieur CLAUDE Akotegnon saisissait respectivement le Commissaire des ressources humaines, le Président de la Commission de la CEDEAO et le Président du Conseil des ministres par lettres datées du 19 août 2016, 02 janvier 2017, et 10 mars 2017, pour réclamer en vain le paiement de ses droits. 

5. Par requête enregistrée au greffe de la Cour le 17 mai 2017, Monsieur CLAUDE Akotegnon saisissait la juridiction de céans pour qu’il soit constaté la rupture abusive du contrat  qui le liait à la Commission de la CEDEAO, et que cette dernière soit condamnée à lui payer les montants ci-après :

  • Deux années de salaires restant dus ;
  • Dix-huit millions cent quarante-six mille neuf cent quatre-vingt (18.146.980) francs CFA correspondant  à ses droits au titre des deux années de service au sein de la Commission, notamment les cotisations au fonds de retraite, les congés non consommés et les frais de voyage divers pour lui et sa famille ;
  • Cinquante (50) millions au titre du préjudice moral ;
  • Le demandeur sollicite en outre la condamnation de la défenderesse aux dépens et qu’il soit ordonné l’exécution immédiate de la présente décision sous peine d’une majoration de  dix (10%) pour cent du montant à payer au titre des intérêts de retard ;

6. Pour sa part, la Commission a plaidé à l’audience publique de la Cour de céans en date du 31 janvier 2018 et par ses notes en cours de délibéré susvisées, l’inanité des demandes formulées par le requérant  avant de solliciter de la Cour ce qui suit :

  • Le rejet du recours contentieux du requérant en vertu de l’article 73 du Règlement du personnel de la CEDEAO, pour n’avoir pas été exercé dans un délai de deux mois à compter de la notification de la rupture du contrat de travail ; 
  • La radiation de l’affaire du rôle ;
  • Subsidiairement, au fond, le débouté du requérant de toutes ses prétentions comme étant non justifiées et sa condamnation aux dépens. 

III - MOYENS ET ARGUMENTS ET DES PARTIES

7. Pour soutenir son action, le  requérant invoque plusieurs moyens tant du point de vue de la forme que du fond.

8. Du point de vue forme, il soutient que la forclusion soulevée par la défenderesse est dépourvue de base légale. Selon lui, l’article 73 du Règlement du personnel de la CEDEAO invoqué à l’appui de ce moyen, ne prévoit de délai qu’en matière disciplinaire (voir alinéa b), ce qui n’est pas le cas en l’espèce. Selon lui,  contrairement à l’affirmation de la défenderesse, son action  ne vise pas la suspension de l’exécution de la décision interrompant de manière abusive le contrat liant les parties, mais elle a pour objet un dédommagement résultant de la rupture injustifiée de cette convention ;

9. Pour ce requérant, les relations de travail se fondent sur la bonne foi et les arguments de la défenderesse selon lesquels il avait un délai d’un mois sous peine de forclusion, ne sont pas conformes aux principes généraux du droit commun des obligations, notamment le délai raisonnable pour se défendre, ni à la jurisprudence du tribunal administratif de l’Organisation Internationale du Travail qui fait justement dudit délai  une condition préalable à l’accès au tribunal.

10. Selon lui, la Cour de justice de la CEDEAO a plusieurs fois rappelé dans sa jurisprudence notamment dans son arrêt N°ECW/CCJ/JUD/03/10 du 08 juillet 2010 que « le Règlement du  personnel de la CEDEAO est muet sur les voies de recours disponibles pour un membre du personnel frappé par une sanction de licenciement arbitraire. La raison étant que pour arriver à une décision de constat de licenciement de ce genre, la Cour doit prendre en considération les faits et les circonstances de l’affaire ainsi que les principes généraux du droit du travail relatifs à la résiliation des contrats ». 

11. Sur le fond, le requérant rappelle qu’il a été  nommé Assistant de M. Jean-Pierre EZIN, Commissaire chargé de l’Education, des Sciences et de la Culture de la Commission de la CEDEAO pour un mandat non renouvelable de quatre(4) ans, à compter du 1er février 2014, avant d’être licencié le 14 mars 2016 de manière abusive. C’est pourquoi, il invoque la violation de ses droits sur le fondement de l’article 9 du Règlement du Personnel de la CEDEAO. A ce titre, il considère avoir droit à un dédommagement substantiel  en raison de la rupture anticipée, humiliante et même  brutale (sans préavis) de son mandat.

12. En réplique aux arguments du requérant, la défenderesse (la Commission de la CEDEAO), par l’organe de son représentant,  soulève in limine litis l’irrecevabilité de la requête présentée en se fondant sur la nature de l’acte ayant mis un terme aux relations de travail qui liaient les parties et sur la tardiveté sinon la forclusion du recours contentieux exercé devant la Cour de céans par le requérant.

13. Relativement à la nature de l’acte en cause, la défenderesse a soutenu la thèse consistant à mettre l’accent sur le fait que l’acte qui a été à l’origine de la plainte du requérant avait en quelque sorte une portée générale dès lors qu’il n’est pas intervenu intuitu personae, mais dans le cadre d’une réforme institutionnelle  plus générale décidée d’un commun accord par la Conférence des Chefs d’Etats de la CEDEAO.

14. Pour elle, il s’agissait d’un acte prescrivant en même temps la fin anticipée du mandat des certains commissaires de la CEDEAO et de facto, de leur assistant. Selon elle, un tel acte pouvait, « mutatis mutandis » être rapproché de la notion d’Acte de Gouvernement au sens du droit public français, dont la caractéristique majeure est qu’il est insusceptible de tout recours juridictionnel.

15. La défenderesse souligne en outre que les postes attribués au sein de la CEDEAO sont affectés aux Etats et non aux personnes privées. Cellesci n’auraient dès lors aucun titre à agir. 

16. S’agissant de la forclusion, la défenderesse estime qu’en application des dispositions des articles 73 et suivants du Règlement du personnel, le requérant a attaqué hors délai la décision  de décembre 2015 des Chefs d’Etat et de Gouvernement qui a mis un terme à ses relations de travail avec  la Commission de la CEDEAO.  Pour elle, le délai de recours contre un acte de la Communauté CEDEAO est  d’un mois et commence à courir à compter du quatorzième jour suivant la date de sa publication au journal officiel. Elle souligne que ce délai étant franc et d’ordre public, doit faire l’objet d’une computation selon le principe « Dies a quo, Dies ad quem ».

17. A titre subsidiaire, la défenderesse  invoque la règle selon laquelle « l’accessoire suit le principal ». Sur cette base, elle a estimé que le sort du requérant est intimement lié à celui de son chef direct , le Commissaire EZIN et qu’ainsi il y a lieu de le débouter de l’ensemble de ses prétentions notamment les deux ( 2) ans de salaires réclamés, les préjudices moraux et les intérêts de retard, sauf en ce qui concerne les revendications relatives aux indemnités de séparation pour lesquelles elle se montre prête à en discuter.

18. S’agissant justement de ces indemnités de séparation, la défenderesse fait valoir que le requérant a manqué de diligence en feignant d’oublier que « les dettes sont en principe quérables et non portables » et qu’ainsi, il lui appartenait de tout mettre en œuvre pour entrer en possession de l’argent à lui offert  comme l’atteste la correspondance en date du 10 août 2016. 

19. Par cette correspondance, la défenderesse estime avoir manifesté sa volonté de payer les droits dus au requérant et qu’il serait superflu d’envisager en plus des préjudices moraux ou des intérêts de retard.

20. Le requérant rétorque que l’argumentation de la Commission viole les principes généraux du droit et elle est contestable dans la mesure où son recours devant la Cour vise à obtenir purement et simplement  un dédommagement c’est-à-dire le paiement de ses droits par la Commission et non pas la suspension de la décision susvisée de la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement. 

21. Le requérant estime en outre que la bonne foi  doit présider dans les relations contractuelles et qu’il n’est pas équitable que la Commission ait mis cinq (5) mois pour lui notifier ses droits à la séparation, comme en témoigne sa correspondance en date du 10 août 2016, alors que la rupture est intervenue le 14 mars 2016. Selon lui, il n’est pas sans intérêt de préciser qu’en dépit de cette correspondance du 10 août 2016, les droits qui lui sont reconnus n’ont pas été liquidés, jusqu’à ce jour.

IV - ANALYSE DE LA COUR  

22. La Cour axera son analyse sur la recevabilité de la requête présentée (A) et, éventuellement, sur le bien-fondé de celle-ci (B).

A- Sur la recevabilité de la requête a- Sur l’irrecevabilité de la requête tirée de la nature de l’acte posé par la Conférence des chefs d’Etat de la CEDEAO

23. D’emblée, la Cour ne conteste pas le fait que la décision par laquelle  la Conférence des chefs d’Etats de la CEDEAO a mis un terme à la convention qui liait la Commission au requérant et à d’autres agents de la Communauté (des commissaires), est intervenue dans le cadre d’une réforme institutionnelle générale ne visant ainsi aucun de ses agents intuitu personae.

24. Cependant, la Cour relève que cette décision, fut-elle une émanation de la plus haute instance de la CEDEAO, ne saurait être rapprochée de la notion d’acte de Gouvernement au sens du droit français dont la caractéristique majeure est qu’il échappe à tout contrôle contentieux.

25. D’une part en effet, cette notion n’existe nulle part dans le droit de la CEDEAO. Si l’on suivait la logique du défendeur, il suffirait de conférer – sur les bases qui pourraient être parfaitement arbitraires - la qualification d’« acte de gouvernement » à un acte pour le soustraire au contrôle de la Cour. La gravité qui s’attache à une telle qualification exclut, du point de vue de la Cour, que cette caractéristique soit faite unilatéralement, au demeurant par la partie qui a intérêt à ce que ledit acte ne soit pas contrôlé.

26. D’autre part, les textes qui régissent la Cour vont à l’encontre d’une telle exception. Aux termes de l’article 9 b et c du Protocole de 2005, la compétence de la Cour s’étend aux « règlements, directives, décisions et tous autres instruments juridiques subsidiaires adoptés dans le cadre de la CEDEAO ». Il s’agit là d’une clause générale de justiciabilité de tous actes dérivés adoptés dans le cadre de la CEDEAO. Il n’y est nulle part évoqué d’exception au contrôle exercé par la Cour sur ces actes. Il sied d’ajouter qu’aux termes de l’article 10 du même Protocole, « peut saisir la  Cour  toute personne physique ou morale pour les recours en appréciation de légalité contre tout acte de la Communauté lui faisant grief ».

27. Sur le terrain même de la responsabilité – et non plus du contrôle de légalité -, aucune exception à la compétence de la Cour n’est prévue. L’article 9 alinéa 2 dudit Protocole pose un principe général de responsabilité de la CEDEAO « soit pour les agissements matériels, soit par des actes normatifs de la Communauté… ».

28. Enfin, la Cour doit rappeler les termes par lesquels l’organe judiciaire de l’Union économique monétaire ouest africaine (UEMOA), confrontée à la question de contrôle d’un acte pris au nom de la Conférence des chefs d’Etat et de Gouvernement mais faisant manifestement grief, a posé le principe de son aptitude à en connaitre : « Le recours en annulation tend à assurer le respect de la légalité communautaire. Il serait contraire à cet objectif d’interpréter restrictivement les conditions de recevabilité du recours en limitant sa portée aux seules catégories d’actes visés par l’article 15 al 2 du Règlement de procédure de la Cour de justice ». Voir arrêt 03/2005 du 27 avril 2005,  Eugène YAÏ et Chefs d’Etat et Commission UEMOA.

29. La Cour de la CEDEAO tient également du Protocole qui l’institue la mission « assurer le respect du droit et des principes d’équité dans l’interprétation et l’application du Traité ainsi que des Protocoles et textes y annexés et d’être investie de la responsabilité de régler tout différend pouvant lui être soumis… ». Voir Préambule du Protocole A/P.1/7/91 du 06 juillet 1991.

  1. Sur l’irrecevabilité de la requête tirée du défaut d’intérêt à agir

30. S’agissant de l’argument de la Défenderesse selon lequel le requérant n’a aucun intérêt à agir étant donné que les postes attribués au sein de la CEDEAO sont affectés aux Etats et non aux personnes privées, la Cour relève qu’il manque de pertinence dès lors qu’il est acquis aux débats que les parties sont liées par un contrat de travail joint au dossier d’une durée de quatre ans non renouvelable à compter du 1er mars 2014.

31. Il s’ensuit que le requérant a un intérêt certain à agir.

  1. Sur l’irrecevabilité  de la requête tirée de la forclusion  du requérant

32. S’agissant de cette question de recevabilité de l’action introductive d’instance, la Cour relève au prime abord que, contrairement à l’avis de la défenderesse, la requête présentée ne vise pas l’annulation ou la suspension de l’exécution de la décision de la Conférence des chefs d’Etat de la CEDEAO ayant interrompu le contrat liant les parties, mais elle a pour objet un dédommagement résultant de la rupture anticipée dudit contrat.

33. La Cour observe ensuite que  suite à la notification en date du 14 mars 2016 par la défenderesse de la rupture du contrat  au requérant, ce dernier avait réagi sur-le-champ en adressant respectivement  et en vain (sans aucune réponse), trois courriers joints au dossier en date des 19 Août 2016, 02 janvier  et 10 mars 2017 au Commissaire des ressources humaines, au Président de la Commission et au Président du Conseil des ministres pour réclamer ses droits, soit avant l’expiration du prétendu délai de deux  mois allégué par la défenderesse.

34. La Cour rappelle qu’il est de principe qu’il n’y a pas de forclusion sans texte et que dans le cas de l’espèce, l’article 73 alinéa A du Règlement du personnel de la CEDEAO, outre qu’il désigne la Cour de justice de la CEDEAO comme juridiction compétente notamment quant à la réclamation de droits résultant de la rupture d’un contrat au sein de la Communauté, ne prévoit aucun délai pour l’exercice d’un tel droit. Mais, par contre, il prévoit un délai  de deux mois renouvelable une fois en matière disciplinaire, notamment lorsque le recours exercé vise à obtenir une suspension de la décision sanctionnant la personne concernée.

35. D’ailleurs, cette absence de délai de recours en matière de licenciement est conforme à une jurisprudence constante de la  Cour. Ainsi, dans son arrêt N°ECW/CCJ/JUD/03/10 du 08 juillet 2010, la Cour souligne que « Le Règlement du personnel de la CEDEAO est totalement muet sur les voies de recours disponibles pour un membre du personnel frappé par une sanction de licenciement arbitraire. La raison étant que pour arriver à une décision de constat d’un licenciement de ce genre, la Cour doit prendre en considération les faits et les circonstances de l’affaire ainsi que les principes généraux de droit du travail relatifs à la résiliation des contrats ».

36. La Cour relève également que la rupture du contrat liant les parties est intervenue depuis le 14 mars 2016 et qu’il a fallu près de cinq mois après, soit le 10 août 2016, pour que le requérant reçoive une correspondance par laquelle son ex-employeur lui notifiait  ses droits qui demeurent à ce jour non réglés. Autant dire que la défenderesse, outre qu’elle a failli à une obligation d’ordre public qui est celle d’agir de bonne foi et avec célérité dans l’exécution de toute convention légalement formée, a mis le requérant dans l’impossibilité d’exercer une action quelconque devant les instances compétentes.

37. La Cour note d’ailleurs que cette exigence de bonne foi et de célérité est conforme à la jurisprudence du Tribunal administratif de l’Organisation internationale du travail qui souligne dans son jugement N°2282 de la 96ème session 2004 et dans celui portant le numéro 2196 de la 94ème  session « qu’il est essentiel pour le bon fonctionnement de la fonction publique internationale que les procédures de recours internes soient diligentées avec une parfaite intégrité… Dans toutes organisations internationales, l’Administration est formellement tenue d’aider les fonctionnaires à exercer leur droit de recours sans jamais entraver cet exercice… ».

38. Compte tenu de ce qui précède, la Cour estime que les moyens présentés par la défenderesse pour rejeter comme irrecevable l’action du requérant, ne sauraient prospérer.

39. D’où il suit que l’action du requérant est recevable.

Au fond

1 - Sur le bien-fondé des demandes du requérant

40. Considérant que par arrêt en date du 29 juin 2018,  la Cour a décidé dans l’affaire opposant  la Commission de la CEDEAO à Monsieur JeanPierre Ezin ce qui suit :  

« Statuant publiquement, contradictoirement, en matière de violation des droits de l’homme, en premier et dernier ressort ;

En la forme

Rejette comme non fondée l’exception soulevée par la défenderesse tirée de l’irrecevabilité de la requête formulée par le sieur Jean Pierre Ezin ;

Au fond

  • Constate que M. Jean Pierre Ezin a été recruté en tant que statutaire par Règlement C-REG.1/01/14, comme Commissaire chargé de l’éducation, des sciences et de la culture pour un mandat de 4 ans non renouvelable à compter du 1er février 2014 ;
  • Constate que le contrat de travail liant la défenderesse au requérant a été abusivement interrompu sans aucune indemnisation de ce dernier ;
  • Condamne en conséquence la défenderesse à payer au requérant la somme de soixante millions (60.000.000 FCFA) au titre de la réparation de l’ensemble  des préjudices éprouvés ;
  • Ordonne à la défenderesse de liquider sans délai tous les droits du requérant au titre des indemnités de séparation ; 
  • Dit en outre qu’un délai maximum de deux (2) mois, à compter de la notification de la présente décision, est donné à la Commission de la  CEDEAO  pour l’exécution de celle-ci ;
  • Dit que tout retard dans l’exécution de cette décision entrainera par mois une majoration de cinq (5) pour cent du montant total alloué ;
  • Déboute le requérant du surplus de ses prétentions ;
  • Dit en outre que les dépens sont à la charge de la défenderesse».

41. En l’espèce, il est acquis que le requérant était l’assistant de M. JeanPierre EZIN et que le sort de l’un est intimement lié à celui de l’autre.  42- A cet égard, il paraît pertinent à la Cour de rappeler, en matière de résiliation de contrat de travail, une jurisprudence constante de la chambre sociale de la Cour de cassation française selon laquelle « la rupture anticipée prononcée par l’une des parties, sans l’accord de l’autre, et en dehors des cas de la faute grave, de la force majeure ou de l’embauche du salarié sous contrat à durée déterminée, ouvre droit pour l’autre partie à des dommagesintérêts… »

43. Sur cette question, la jurisprudence du Tribunal administratif de l’Organisation internationale du travail (OIT) parait plus ferme et décide que « même en matière de contrat à durée déterminée arrivé à échéance, le nonrenouvellement doit être motivé, sous peine d’entrainer des dommages-intérêts… »

44. La Cour relève en l’espèce que même si la rupture du contrat liant les parties avait été fondée sur les dispositions des articles 59 et 60 du Règlement du personnel de la CEDEAO autorisant  le chef de l’institution à mettre fin aux services d’un membre du personnel du fait d’une suppression de poste ou de changement d’exigence du poste, il n’en demeure pas moins que l’employé remercié, outre qu’il ne doit en aucun cas supporter les conséquences dommageables de ladite rupture du contrat, a droit à une indemnité de cessation de service sans compter celle résultant du préjudice moral éprouvé . 

45. Eu-égard aux circonstances de la cause, la Cour dispose d’éléments d’appréciation suffisants pour dire que les montants réclamés par le requérant au titre de la réparation des préjudices par lui éprouvés, sont fondées en leur principe, mais exagérées quant à leur quantum.

46. Qu’ainsi, en l’absence d’éléments objectifs permettant de calculer exactement les montants dus à ce requérant au titre de cette réparation,  il convient  de lui allouer, de manière forfaitaire, la somme de dix huit millions (18.000.000 FCFA) au titre de la réparation de l’ensemble des préjudices par lui éprouvés  du fait  bde la rupture abusive du contrat qui le liait à la Commission de la CEDEAO ; 

47. La Cour estime en outre qu’il y a lieu d’ordonner à  la défenderesse de liquider les droits du requérant au titre des indemnités de séparation ainsi qu’un délai maximum de deux (2) mois pour l’exécution de ladite décision à compter de sa notification;

48. Enfin, il convient de préciser que tout retard dans l’exécution de cette décision entrainera une majoration mensuelle de cinq (5) pour cent du montant total alloué et de débouter le requérant du surplus de ses demandes.

2- Sur les dépens

49. Considérant que la défenderesse a succombé et qu’il y a lieu de la condamner aux dépens en application des dispositions de l’article 66 du Règlement relatif à la Cour.

Par ces motifs,

  • Statuant publiquement, contradictoirement, en matière de violation des droits de l’homme, en premier et dernier ressort ; En la forme

Rejette comme non fondée l’exception soulevée par la défenderesse tirée de l’irrecevabilité de la requête formulée par le sieur Claude Akotegnon ;  Au fond

  • Constate que le requérant a été recruté en tant qu’assistant de M. Jean Pierre Ezin qui fut engagé comme Commissaire statutaire par Règlement C-REG.1/01/14, chargé de l’éducation, des sciences et de la culture pour un mandat de 4 ans non renouvelable à compter du 1er février 2014 ;
  • Constate que le contrat de travail liant la défenderesse au requérant a été abusivement interrompu sans aucune indemnisation de ce dernier ;
  • Condamne en conséquence la défenderesse à payer au requérant la somme de dix-huit millions (18.000.000FCFA) au titre de la réparation de l’ensemble des préjudices par lui éprouvés ;
  • Ordonne en outre la liquidation des droits du requérant  au titre des indemnités de séparation ;
  • Dit qu’un délai de deux (2) mois est donné à la  défenderesse  pour exécuter  la présente décision, à compter de la notification de celleci ;
  • Dit que tout retard dans l’exécution de cette décision entrainera mensuellement une majoration de cinq (5) pour cent du montant total alloué;
  • Déboute le requérant du surplus de ses prétentions ; - Dit  que les dépens sont à la charge de la défenderesse.

Et ont signé :

-Honorable Juge Jérôme TRAORE - Président 

-Honorable  Juge Yaya BOIRO - Juge-Rapporteur

-Honorable  Juge Alioune SALL - Membre

Assistés de Maitre Diakité Aboubacar - Greffier

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